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L'ardente nécessité d'un (r-)appel du 18 juin

Publié le 18 Juin 2020 par Jean MESSIHA

 

L’ardente nécessité d’un (r-)appel du 18 juin

 

Jean MESSIHA

 

 

Nous fêtons aujourd'hui le 80ème anniversaire de l'appel que lança le général de Gaulle le 18 juin 1940 depuis Londres, après avoir pris le dernier avion pour le monde libre. Comme chaque année nous aurons le droit au ballet des déclarations convenues et aux rappels historiques aussi élogieux qu'approximatifs. Mais au fond que signifie vraiment cet appel et quelles leçons en tirer pour notre France contemporaine ? 

 

 L’homme qui a dit non 

En ce 18 juin 40, le Général de Gaulle balaye cette conception empirique ou pragmatique de l’Histoire en vogue depuis la mort de Hegel, celle des faits tels qu’ils sont. Il martèle, sans l’éluder, une réalité évidente – « nous avons perdu la bataille » – pour mieux en récuser la lecture défaitiste. Car pour lui, déjà, la défaite n’est qu’une apparence. « La guerre est perdue ? Oui bien sûr ; mais regardez bien : il est déjà écrit que nous la gagnerons ». Pareille lecture ne peut manquer de le faire passer pour un fou à lier auprès des soi-disant « réalistes » et autres  "pragmatiques" de cette époque tourmentée.

 

Et fou, il l’est à ce moment-là, nécessairement, puisque rien de ce qu’il énonce en ce début d’été 1940 ne semble corroborer son analyse de ce qui adviendra quatre années plus tard. Avec cet appel, le général a, en quelques sortes, substitué à un réel observable et mesurable, têtu comme disait Lénine, un réel de rechange qu'il est le seul à voir. Un peu comme Jeanne d'Arc avec ses voix, ou Galilée quand il nie l'apparence d'un soleil qui tourne autour de la terre en disant que c'est l'inverse qui se passe. De Gaulle, comme Jeanne, ne refuse pas la réalité. Il débusque, au contraire, la lumière d’une France renaissante derrière le voile d’obscurité dont elle s’est, un instant, drapée. Oui, la bataille de France a été lamentablement perdue. Mais non, la guerre elle-même ne l'est pas et tous ceux qui le disent se trompent. Oui c’est vrai, la France est vaincue, anéantie, déchiquetée, occupée, déshonorée, sans espoir, se jetant, parce que tout lui dit qu’elle n’a plus le choix, dans les bras de celui qui lui explique que sa renaissance passe par sa soumission silencieuse à la juste punition venue du ciel. La modernité fasciste a eu raison de la ringardise des démocraties, dont la République tricolore était l’un des fleurons. Le vieux monde s'effondre. Qui peut faire obstacle à l’ouragan du devenir ?  Déjà l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie, le Japon ont basculé, après la Tchécoslovaquie, la Pologne, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark... Les dominos sont tombés les uns après les autres. Aveuglant est le sens de l’Histoire : L’Europe est allemande, qui peut le nier ? Staline lui-même en a pris acte. Ou plutôt pacte. Il a tendu la main à Hitler. La mondialisation arbore la croix gammée. Reste l’Angleterre qui, pathétiquement, s’accroche à la seule bouée qui lui reste : son insularité. Une goutte de terre dans l’océan. Et la mer monte. Aucune chance. 

 

C’est donc fini. La page ouverte en 1789 a été tournée. Les derniers feux de la philosophie des Lumières s’éteignent dans la pénombre crépusculaire de l’humanisme finissant. Qui alors pour dire le contraire ? Contre toute attente, c’est l’homme qui serait peut-être, par nature, le plus enclin de penser de cette façon et de reconnaître cette évidence, qui va la contredire le plus radicalement en lui opposant une volte-face d’acier. De Gaulle est un militaire, catholique convaincu mais d’une famille dreyfusarde et à la fibre plus monarchiste que républicaine. Et un militaire obéit aux ordres et s’incline devant la réalité. Surtout quand celle-ci a été tranchée sur le champ de bataille après un combat perdu à la régulière. Dès lors, que signifie son « non » ? Qu’un « moment », aussi traumatisant soit-il, n’efface pas plus ce qui l’a précédé qu’il ne peut entraver ce qu’il adviendra. Vichy n’est qu’un dérapage. Un hoquet. Un accident. En cela, le « non » gaullien exorcise. Il dit au réel cette chose inouïe : qu’il se trompe sur lui-même, qu’il se prend au piège d’une apparence qui ne reflète en rien son essence, qu’il est un faux réel, comme il y a des faux dieux, une ruse du diable !

 

L’appel du général fait apparaître le « oui » de Pétain pour ce qu’il est vraiment : un instrument négateur à la fois du passé et du futur. En d’autres termes, c’est le « oui » pétainiste qui brade le plus beau d’hier et le plus lumineux de demain. C’est le « non » gaullien, en revanche, qui à la fois sauve hier et se projette sur demain. Ce « non »-là acquiert alors une fonction magique. Oui, il constate la citrouille. Mais pour la changer en carrosse. Mais à quoi dit-il « non » au juste ? Non, la France pulvérisée, hébétée, assommée, n’a pas baissé les bras, perdu définitivement le match par forfait. Non, elle n’a pas remis docilement son destin entre les mains d’un vieillard sénile. Non, son armée, son église, son administration, ses notables, ses journalistes, ne se sont pas massivement mis au service d’un régime dont l’acte de baptême fut une forfaiture. Cela ne doit pas être, donc cela ne sera pas, même si cela est. Et c’est ce « non », quelque peu mystificateur, qui, en substituant une réalité rêvée à une réalité vécue, amènera la France, miraculeusement ressuscitée, à la table des vainqueurs au grand effarement d’un maréchal Keitel incrédule.

 

Ainsi, le « non » gaullien, justement parce qu’il s’installait d’emblée hors du champ de toute réalité empirique, à la fois au-delà, en deçà et ailleurs, a fonctionné comme la baguette des fées de légende. Il a fait jaillir une réalité nouvelle. Il ne s’agissait pas de modifier le réel à la marge, mais de formuler le sésame magique qui enclencherait le processus de sa radicale métamorphose. Plutôt que de prendre en compte « les faits », il s’agissait de les ostraciser et de les transformer en méfaits. Les défaire, en quelque sorte. Et édifier sur cet espace vide une cathédrale virtuelle construite à partir d’une infinité de petits faits de remplacement. Tout simplement la preuve que c’est souvent l’utopie qui est vraiment réaliste alors que le soi-disant réalisme ne renvoie, en revanche, qu’à une illusion. Ou à un éphémère. Tout simplement la preuve, aussi, qu’on peut avoir raison seul contre tous et que la Vérité, la Justice ne sont pas toujours (et même rarement) du côté du plus grand nombre. De Gaulle a construit seul. Ses successeurs détruiront à plusieurs. Il avait dit « non ». Ils ont redit un « oui » qui ressemble à bien des égards à celui qui présida à l’infamie de 1940. 

 

 Le retour de l’esprit de Montoire

 De manière rétroactive, l'appel du général de Gaulle a, sur le coup, quelque chose de prodigieux, d'incroyable, de miraculeux presque : il montre de manière fracassante que la réalité remodelée par la volonté d’agir sur elle finit par l’emporter sur la réalité perçue, celle-ci n'étant que la réalité d’un instant. Il montre aussi une conscience aigüe des forces structurelles déjà en action, qui lui font dire, dès le 18 juin, que « la France n'est pas seule », alors même qu'elle l'était ! Ainsi, en quelques minutes d'un discours radiodiffusé, le Connétable rejoignait Condorcet et Victor Hugo. Ce dernier n'a-t-il pas prophétisé l'avènement d'une Europe des nations, libre et démocratique à une époque où le Vieux continent battait pavillon impérial ? Rien n'est donc jamais perdu d’avance et « la grandeur finit toujours pas se donner à ceux qui en ont toujours rêvé ».

 

Le drame de notre temps est que les rêveurs, les idéalistes, les volontaristes ont soit laissé la place aux « pragmatiques », aux « réalistes », soit aux idéologues du monde global et de la fin des nations, du migrant souverain doté du droit de conquérir avec ses pieds et son identité qui elle, en revanche, est sacrée. Mais diantre, qui sont les véritables réalistes au fond ? Ce ne sont pas, bien sûr, ceux qui occultent la réalité. Mais pas davantage ceux qui se soumettent à ses manifestations immédiates. Ce sont ceux qui l’affrontent pour mieux la transformer. Le réalisme véritable ne consiste, ni à manipuler cette réalité, ou à refuser de la regarder en face, ni à se contenter d’en prendre acte, de la décrire lucidement pour mieux s’incliner devant elle – et s’y soumettre. Non. Le réalisme véritable consiste précisément à prendre appui sur sa manifestation la plus crue pour mieux travailler à sa transformation la plus porteuse d’espérance. Toute la philosophie du 18 juin est là. Rien ne résiste à la volonté. Pas même 1940.

 

L’appel du 18 juin représente a posteriori le socle sur lequel la France s’est refondée dans les années d’après-guerre et surtout, bien sûr, après le retour du général de Gaulle au pouvoir. La renaissance de la volonté de puissance, de l’ambition nationale, du souffle prométhéen canalisé par un Etat fort et efficace. Le lecteur de ce 18 juin 2020 se demande alors : que s’est-il passé ? Où est passé l’esprit du 18 juin ? Pourquoi et comment sommes-nous tombés si bas ? Comment expliquer cette vertigineuse chute de la grandeur à la médiocrité, de la combativité à l’abandon, de l’espoir à la résignation ?

 

Il faut pour cela remonter au début des années 70. La France encore au faîte de sa gloire,  souffre de bien moins de maux qui l’accablent tant aujourd’hui. Dette publique négligeable, une économie forte, certes secouée par les soubresauts d’un Franc parfois malmené, mais un chômage au plus bas et croissance forte, un Etat encore bâtisseur, des élites politiques encore imprégnées ou halées de l’idéal gaullien, une voix respectée dans le monde. Et patatras ! Le premier choc pétrolier met fin aux Trente glorieuses et la prospérité n’est plus un acquis. 

 

Avec l’arrivée de Valérie Giscard d’Estaing à l’Elysée, démarre aussi une nouvelle ère paradigmatique : celle de l’économisme et de l’européisme. Le Général n’était pas un économiste. Et même s’il ne se désintéressait pas du sujet, il faut admettre qu’il laissait volontiers à d’autres le soin de s’en occuper. « L’intendance suivra ». Avec VGE arrive l’éco-technocratie qui a les yeux rivés sur les indicateurs économiques et surtout l’obsession de la « construction européenne » avec l’Allemagne. Le Général l’avait acceptée du bout des lèvres mais avec la vision très claire d’une petite communauté européenne sans le Royaume-Uni et dirigée par la France seule puissance mondiale continentale à l’ouest de l’Oder. 

 

Les successeurs de Pompidou, « les Présidents qui ont défait la France » pour reprendre le titre de l’excellent ouvrage de Louis Aliot, ont fait un choix stratégique fondamental : que la France existe de plus en plus par ou au travers de l’Europe, et de moins en moins par elle-même. Une étrange défaite s’il en est et ce, pour plusieurs raisons.Tout d’abord, les élargissements successifs faisant passer l’UE à 28 pays, (avant le Brexit) ; ensuite la réunification allemande qui a consolidé la domination d’un pays dont l’économie nous écrasait déjà de sa supériorité ; puis Maastricht et la marche vers l’euro ou le « Deutsch Mark pour tous » avec l’accroissement lent et continu des prérogatives de Bruxelles, et enfin la formidable montée en puissance de l’Asie et de la Chine en particulier, exister par l’Europe ne voulait plus rien dire.

 

Nous avons cherché dans l’illusion du « couple franco-allemand » un succédané de celui de l’ancien chef de meute qui n’est plus ce qu’il était et se met dans l’ombre du costaud de la bande pour surnager. En vain l’Allemagne existe par elle-même, pour elle-même et bien sûr par cette Europe qu’elle va dominer plus que jamais après sa gestion au cordeau de la crise COVID-19 à l’inverse de notre pays.            

 

Le nouveau paradigme techno européiste initié par VGE sonne comme une sorte de 18 juin à l’envers. Un anti-18 juin en quelques sortes. Là où de Gaulle transforme par sa volonté, sa vision et son esprit, une réalité désespérante, triste, destructrice, VGE et ses successeurs vont transformer une réalité positive, porteuse des plus grandes espérances, heureuse, volontaire et agissante en un corps malade, désespéré et sans avenir. L’ère du soi-disant « réalisme » commence alors et un florilège d’apophtegmes signant l’impuissance va l’accompagner : « contre le chômage, nous avons tout essayé » ; « la France est une puissance qui ne pèse plus face aux grands ensembles Etats-Unis et Chine » ; « l’influence de la France dans le monde ne cesse de décliner » ; « l’Europe représente aujourd’hui le seul salut pour la France si elle veut pouvoir continuer à peser sur les affaires du monde ». N’est-ce pas ce que l’on entend depuis 30 ans ? Or que nous enseigne ce changement de modèle ? Une chose toute simple en vérité : c’est que nous assistons depuis trois décennies au triomphe posthume d’une certaine forme de pétainisme. Plusieurs de ces déclarations auraient pu aisément être faites en 1941 ou 1942 et la manière dont le plus grand nombre parle de la place de la France en Europe aurait pu être celle de Radio Paris. On a juste supprimé « allemande » après « Europe ».  Le « non » fondateur et salvifique de de Gaulle s'est mué en un « oui » ou en « tant pis pour » aussi systématique que ravageur. Oui à l'Europe supranationale, oui au marché roi, oui à l’invasion migratoire. Tant pis pour le chômage devenu structurel et à la montée des inégalités. Oui à l‘effondrement des valeurs qui et des traditions qui nous ont construits. Oui à l’affaiblissement de l'Etat souverain, de plus en plus défié par les pouvoirs locaux, les lobbys et ONG en tout genre. Oui aux diktats de toutes sortes (migratoires, LGBTistes, etc) et tant pis pour nos usines et nos fermes, etc. Oui à tout… sauf au "non". 

 

En somme, le retour de cet esprit d’abandon que de Gaulle aimait à fustiger du temps du RPF et qui s’était déjà amplement diffusé parmi les notables bedonnants et à monocles de la IVème République. En 1940, le général a réussi à transformer la plus grande défaite de l’Histoire de France en l’une des plus grandes victoires et, en 1958, l’une des plus graves crises de régime en l’un des régimes les plus solides. Ses successeurs feront exactement l’inverse. Une volonté d’impuissance. C’est fondamentalement cette posture de négation de la grandeur, cette croyance féroce en l’impuissance de la volonté qui va expliquer son abandon, pan par pan, morceau par morceau. Si la volonté ne peut plus vouloir, si elle ne peut plus, pourquoi en conserver les instruments ? Une voiture diagnostiquée non roulante est vendue en pièces détachées. Ainsi avons-nous fait de la volonté nationale. Nous en avons bradé les instruments : la politique monétaire ? À la BCE. La politique de change ? À la BCE. La politique budgétaire ? Aux critères de Maastricht. La politique commerciale ? À la Commission européenne. La politique industrielle ? À personne. La politique de défense ? À l'OTAN, donc aux Etats-Unis et à son cheval de Troie, la PSDC. Bien sûr. Forcément. Pourquoi garder des instruments alors même que la volonté qui préside à leur utilisation a été déclarée impuissante ? Ah mais, nous dit-on, le jour où l’Europe sera politique, elle magnifiera feue la puissance nationale. 

 

C’est possible mais il faut arrêter de se raconter des histoires. La souveraineté européenne c’est la fin de ce qui reste de souveraineté française, italienne, espagnole, etc. Il n’y a pas de « en même temps possible ». Le partage de la souveraineté avec d’autres n’est plus la souveraineté pour soi. Et si souveraineté européenne nous devions accepter elle serait très largement dans les mains de la nation la plus puissante : l’Allemagne entourée de ses vassaux du Benelux et de la Mittel-Europa. La réalisation « pacifique » du rêve d’un régime de sinistre mémoire qui voulu imposer une « europe unie » par la force et la « purifier ». La France vivrait un nouveau « Montoire » moins humiliant sur la forme mais assez comparable sur ses conséquences.  

 

Alors que faire de notre France, qui désespère, qui souffre à travers ses chômeurs et ses solitudes, ses surendettements, le désœuvrement d’une partie de sa jeunesse, ses services publics à la dérive, son malaise identitaire historique et son angoisse écologique? Il faut un nouvel appel. Un nouveau 18 juin qui, à nouveau, proclamerait : « Non, le réel si sombre soit-il n’est pas une fatalité ». « Non, le réel ne s’impose pas ad vitam aeternam.  Non, nous ne sommes pas condamnés à notre déclin » Mais pour cela, il nous faut redonner vie à la volonté nationale. Et récupérer d’urgence les instruments en lesquels elle s’incarne. Concrètement cela veut dire redresser notre économie car sans cela le modèle social français va mourir, notre dette ne fera que croitre, trop de nos concitoyens resteront au chômage ou croupiront dans des jobs mal rémunérés sans espoir d’ascension sociale. Reprendre en main notre politique migratoire et stopper des flux dont nous n’avons ni culturellement envie ni économiquement besoin. Réformer un Etat devenu obèse et inefficace avec l’inflation d’organismes para-étatiques et le mille-feuille territorial. Refonder une union européenne qui était acceptable en tant que communauté économique, scientifique, culturelle, universitaire mais qui ne l’est pas en tant qu’union politique qui s’est arrogée des pouvoirs de plus en plus étendus. Unis oui, soumis non ! 

 

Car face à l’adversité de notre époque, deux dérives sont à éviter : la dénégation et l’acceptation. Ne pas dissimuler ce qui est, mais ne pas non plus s’y abandonner. Refuser l’évidence des choses est suicidaire, mais accepter les choses telles qu’elles sont n’a aucun sens. Elles ne sont pas. Elles deviennent. Et ce qu’elles deviennent dépend de nous.

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