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"Choose France" : la gonflette jupitérienne

Publié le 9 Février 2020 par Jean MESSIHA

 

 

« Choose France » : la gonflette jupitérienne

 

Le 21 janvier Emmanuel Macron a accueilli en grande pompe à Versailles et pour la deuxième fois environ 200 grands patrons de firmes mondiales pour promouvoir l’investissement en France. C’est, reconnaissons-le, plutôt une bonne idée. Le Président de la République, comme ses homologues étrangers, doit, en effet, tout faire pour développer l’économie de son pays. Et pour cela les investissements étrangers y contribuent.

 

En France 1,8 millions de salariés (environ 10% du total) travaillent pour des sociétés étrangères souvent installées de longue date. Elles créent de l’emploi, exportent, paient des impôts et des cotisations et participent à la recherche et l’innovation. Elles sont donc bien évidemment les bienvenues.

 

Le bilan qu’Emmanuel Macron et la com’ élyséenne ont fait de cet évènement est en revanche sujet à caution tant il est quelque peu trompeur. L’Élysée annonce en effet 4 milliards d’euros d’investissements nouveaux. Waouh ! Jupiter serait donc le super VRP de la marque France. 

 

Las, les choses ne sont pas si simples. De ces 4 milliards d’euros, 2 milliards représentent l’achat par le croisiériste italo-suisse MSC de deux nouveaux méga paquebots aux Chantiers de l’Atlantique à Saint Nazaire. Une formidable nouvelle car ce sont environ quatorze millions d'heures de travail qui sont assurées pour les 3.300 salariés du site. De quoi voir venir jusqu’en 2027. 

 

Le rôle du Président ?  MSC a déjà commandé une vingtaine de vaisseaux aux chantiers depuis le début des années 2000. Ce sont donc l’excellence de notre technologie navale pour les navires de haut de gamme ainsi que la qualité de conception et d’exécution de nos ingénieurs, techniciens et ouvriers qui nous valent ces contrats. Comme ses prédécesseurs, Macron reprend à son compte les succès commerciaux de nos grandes entreprises. C’est de bonne guerre, mais encore faut-il ne pas être dupe.

 

Il y a toutefois une question qui se pose au locataire de l’Élysée. Pourquoi insiste-t-il autant pour céder ce joyau de l’industrie française (revenu dans notre giron national après le naufrage de son ancien propriétaire coréen) à l’italien Fincantieri ? Une nécessité industrielle ? Nullement. Plutôt l’obsession idéologique de créer des groupes transeuropéens comme ce fut le cas pour Alstom-Siemens, (projet heureusement avorté), fut-ce au prix d’une perte de notre souveraineté économique.

 

Exit les 2 premiers milliards, il en reste encore 2 autres. 1 milliard nous viendra de Coca-Cola mais sur 5 ans et 450 millions d’Astra-Zeneca (pharmacie) également sur cinq ans et le reste est du même tonneau soit environ 400 millions par an sur les cinq prochaines années. 

 

Vous nous direz que c’est toujours bon à prendre et qu’il ne faut pas faire la fine bouche. Soit. Mais savez-vous combien les entreprises investissent chaque année en France ? A peu près 300 milliards d’euros[1] !! Ca calme, non ?  

Alors pourquoi les grands patrons de ce monde se prêtent au jeu de notre Jupiter national ? Reconnaissons lui d’être astucieux. En fixant ce show à la veille du sommet de Davos qui les réunit chaque année, Macron leur offre de faire un petit stop-over à Paris. Mais le plus important pour eux est d’apporter un appui visible à ce champion du mondialisme dont ils sont les grands bénéficiaires.      

 

Deuxième grande source de satisfaction affichée : l’attractivité de la France. Le grand cabinet d’audit international E&Y publie chaque année un baromètre de l’attractivité industrielle de la France. Usant de l’édition 2019, la Macronie se gargarise de ses résultats sur tous les médias pour nous dire que grâce à Macron, la France est devenue le pays le plus attractif d’Europe sur le plan industriel. Lisons déjà le titre de ce baromètre pour l’année qui vient de s’écouler : « La France tient le choc ». Bon à ce stade rien de transcendant.  On nous indique plus loin qu’avec 339 projets industriels étrangers, la France est en tête du podium devant… la Turquie (203 projets) et l’Allemagne (152). Mais il y a un hic. 80% des projets qui concernent la France sont des extensions de sites existants. Vous rajoutez 100m2 à votre usine et vous rajoutez une machine et hop cela compte comme un nouveau projet !

 

Les macronistes reviendront à la charge avec l’argument du « mais quand même on fait mieux que l’Allemagne ! ». Certes, mais la raison est simple : nos voisins sont déjà massivement industrialisés… C’est donc tout naturellement qu’il y a moins de nouveaux projets (mécanisme bien connu en sciences économiques sous le nom d’« effet leader »).

 

Beaucoup plus embêtant : le commentaire livré par E&Y dans son édition 2018 et qui couvre ses années d’études sur les investissements industriels étrangers en France. « Lourd bémol, ces projets industriels sont moins créateurs d’emplois en France que chez la plupart de ses concurrents. Deux explications peuvent être avancées. D’une part, l’essentiel des projets sont des extensions de sites déjà existants, qui représentent 86% des projets en France, contre seulement 75% au Royaume-Uni et 62% en Allemagne ». La vérité est crue. Peu de nouveaux venus en France mais ceux qui y sont déjà installés investissent un peu. C’est toujours ça.  

 

Mais est-ce que le cru 2019 est si exceptionnel que cela ? Lisons ce que E&Y écrivait en 2015 : « La performance du site France en 2014 est en forte progression cette année. En nombre de projets, la France dépasse le rythme européen avec 608 projets issus de tous secteurs et tous horizons, elle dépasse même ses niveaux d’avant crise ».

 

Au fait, où en est l’emploi industriel français à mi-mandat d’Emmanuel Macron? 

Nous ferons confiance à l’INSEE.  

 

 

Depuis son arrivée au pouvoir l’emploi industriel est passé de 3.134.000 à 3.161.600 soit + 27.600 emplois donc + 0.88%. Oui, vous avez bien lu : moins de 1%. Là encore, « c’est mieux que rien » nous dira-t-on ! Effectivement, sauf que l’essentiel de ce léger mieux marginal est imputable au Pacte de Responsabilité et le CICE mis en place par son prédécesseur qui a réduit les prélèvements sur les entreprises de 40 milliards d’euros par an. Macron n’a objectivement rien apporté de nouveau pour stimuler la compétitivité de notre industrie et surfe sur la petite vague « hollandaise ».

 

Nous avons l’intention de faire beaucoup, beaucoup plus pour l’appareil productif français en particulier son industrie. A suivre.  

   

Rédigé avec Frédéric  Amoudru

Ancien cadre dirigeant du secteur bancaire.

 

 

 

    

  

 

[1] Chiffre de la formation brute de capital fixe, agrégat qui mesure, en comptabilité nationale, l'investissement en capital fixe des différents agents économiques résidents.

 

 

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